Date : automne 2014
Organisation : Dans le cadre du colloque “Nourritures jardinières” à Cerisy, aoüt 2014
Par : Véronique Skorupinski et Mélia delplanque
« Où avez-vous attrapé ces mycoses ? Désolé Docteur, un vrai amateur ne révèle pas ses coins à champignons » Philippe Geluck
« Saprophytes à l’ALMA », Roubaix, avril 2007, première expérience de mise en culture d’un espace urbain délaissé avec des champignons. Le délai qui nous est accordé est très court, nous ne disposons que de 15 jours pour investir et réaliser une production dans la cour des 3F, logements sociaux en cours de « résidentialisation » dans le quartier de l’Alma à Roubaix. Nous choisissons de mettre en place une champignonnière éphémère, en raison de la simplicité de mise en œuvre de ce projet de culture hors sol et surtout de la rapidité de la production, au bout de 15 jours nous pourrons cueillir des pleurotes. L’espace de la cour, dont l’usage avait été condamné par le bailleur, est nettoyé et investi avec un groupe de jeunes du Centre Social de l’Alma. Nous y construisons une serre, pour accueillir les sacs inoculés de champignons. Cette petite construction très fragile restera en place pendant près d’un mois avant d’être déplacée dans les jardins ouvriers du quartier. Cette longévité inespérée pour un tel objet installé dans l’espace public, est rendue possible grâce à la vigilance des jeunes du quartier ayant participé au chantier de construction de la serre. Investis dans le projet, ils ont veillé sur l’installation tout au long de sa présence dans la cour. La production exceptionnelle de pleurotes obtenue a été partagée lors d’un repas de quartier organisé dans la cour avec tous les voisins. Les objectifs fixés pour cette champignonnière éphémère sont atteints, elle a permis de : – questionner les réponses apportées en terme d’aménagement aux problèmes de gestion des espaces communs d’une résidence de logements sociaux – redonner un sens et une valeur à un espace urbain délaissé en révélant son potentiel productif
« L’unité de production fongique – une ferme agri-culturelle à la Condition Publique », Roubaix, septembre 2010, transformation éphémère d’un lieu culturel en espace de production « agricole ». Pendant un mois, la Condition Publique accueille une champignonnière qui produira 1 tonne de champignons. Cette installation met en place un espace productif qui est aussi et surtout un espace catalyseur de rencontres. Rencontre entre production culturelle et production agricole, spectacles et œuvres d’art trouvent leur place dans les tunnels de la champignonnière en se glissant parmi les pleurotes et champignons de Paris. Mais aussi rencontre avec le quartier du Pile, la champignonnière est ouverte aux habitants et voisins. Chacun peut venir y faire sa récolte de pleurotes, en échange nous lui demandons de participer à la constitution d’un « grand registre » recensant les savoir-faire des habitants du quartier. Le principe de troc ainsi initié, invite à imaginer un système d’échange local non marchand et à questionner la place de l’activité économique dans cet ancien quartier ouvrier. A travers une expérience poétique et artistique, l’unité de production fongique de la Condition Publique a permis de : – tisser des liens « quotidiens » entre la Condition Publique et les habitants voisins. – révéler le potentiel « nourricier » d’un ancien espace industriel aujourd’hui transformé en espace culturel, en questionnant l’autonomie alimentaire d’un quartier en milieu urbain – proposer une mixité des usages et fonctions pour répondre aux problèmes sociaux et économiques d’un quartier.
« L’Unité de diffusion fongique », au Domaine de Chamarande (Essonne), de mai à septembre 2014. Invités par le Domaine de Chamarande dans le cadre de sa programmation artistique à investir, le temps d’une saison, le parc et la Glacière, nous proposons de mettre en place une installation vivante et évolutive à base de champignon. Les pleurotes nous intéressent ici pour leur caractère fantastique, leur dimension poétique, leur aspect «magico-scientifique ». Dans cette installation, nous utilisons le champignon comme un « attracteur étrange » permettant de capter l’attention du visiteur et de l’inviter à questionner son rapport au territoire par le biais de son alimentation. Nous installons dans la Glacière un laboratoire de diffusion fongique mettant en scène la fructification. Cet espace est aussi le point de départ d’un réseau de champignons comestibles à partir duquel nous entreprenons d’inoculer le pleurote à toute la forêt du domaine de Chamarande. Si nous sommes à l’initiative de ce réseau, celui-ci est amené à se développer de lui-même à son rythme et à se propager librement sur l’ensemble du territoire. Le dispositif proposé invite le visiteur à parcourir le parc, en changeant de posture et de regard sur cet espace. Partir à la cueillette des pleurotes, permet d’être attentif à ce qui se trouve sous ses pieds, d’explorer le domaine dans ses moindres recoins, de chercher ce qui y pousse. Cette champignonnière veut : – réveiller l’instinct de chasseur-cueilleur du visiteur – questionner le rapport entre terre, aliments et homme.
« La champignonnière des unités de productions fivoises », dans l’atelier des Saprophytes à Lille. Projet sur le long terme, en cours depuis le printemps 2014. L’installation d’une champignonnière dans la cave de notre local, a été le premier maillon dans un réseau de production agricole que nous cherchons à disséminer dans le quartier de fives. Tous les vendredi, le petit laboratoire de notre champignonnière nous permet d’inoculer le pleurote au marc de café collecté dans le quartier auprès des commerçants, associations ou particuliers. Une partie du substrat inoculé et conditionné dans des sacs, est vendu sous forme de kit. Ces kits permettent à tous les participants d’installer chez eux une « mini champignonnière privée» et de devenir, le temps d’une récolte, des « producteurs urbain s». Champignonnière, potagers, ruches, poulaillers et composts sont autant d’unités de production. Installées sur les interstices urbains, elles participent à la construction d’un projet global de territoire, visant à faire émerger une production alimentaire collective et locale. Dans cette approche systémique du territoire, croisant les problématiques d’aménagement, de développement économique, de lien social, de politique, la champignonnière joue différents rôles. C’est un moyen de : – valoriser un déchet, pour en faire le substrat de base d’une production alimentaire – provoquer la curiosité et l’intérêt pour la question de la production alimentaire en ville – continuer à étendre le réseau d’habitant producteurs participant au projet (donneur de marc de café ou accueillant un kit de production de pleurotes) – partager et transmettre un savoir-faire, en développant un procédé de culture de pleurote reproductible et accessible par tous.
Ces 4 expériences « fongiques » traduisent notre vision de la ville et du projet urbain. Le champignon, « élément » fantastique, vecteur d’imaginaire et d’utopie est pour nous un moyen poétique de questionner la manière dont nous fabriquons, occupons et utilisons les espaces urbains. Au delà du champignon c’est bien le potentiel productif de la ville que nous souhaitons révéler. En ré-introduire des espaces de production en ville, nous cherchons à redonner un sens aux espaces publics, à réinventant les interactions entre l’homme et les espaces qu’il habite, à développer une conception de la ville systémique qui prend en compte la dimension vivante et évolutive des territoires, à retrouver en ville de véritables espaces publics, des lieux d’échanges, où se fabrique un nouveau modèle de société.